Cette semaine aura été marquée par l'incendie de la maison de retraite "les Anémone" de Marseille dans lequel six personnes ont perdu la vie et plusieurs autres ont été grièvement atteintes. Il semblerait qu'un résident ait essayé d'ouvrir un sachet de friandises avec un briquet et le feu se serait propagé. Les portes coupe-feu se seraient actionnées mais certains résidents pris de panique auraient forcé leur porte de chambre pous sortir et se seraient retrouvés au milieu des flammes. Ce drame survient un mois à peine après celui d'une autre EPHAD charentaise.
Sur place, la ministre de la santé Roselyne Bachelot a déclaré qu'elle n'écartait pas la possibilité de "renforcer les normes de sécurité" et qu'elle jugeait "les effectifs de santé suffisants" précisant que "nous ne sommes pas dans un hôpital mais dans un établissement pour personnes âgées dépendantes."
Malgré toutes les protections anti-incendie, le feu reste un risque majeur pour les institutions qui abritent nos aînés. Ces établissements ne cessent d'effectuer de permanentes et coûteuses mises aux normes, des factures qui perturbent assez peu les gros groupes hôteliers présents sur ce marché, mais qui étranglent littéralement les petites maisons de retraites indépendantes.
Un drame qui fait bien tristement écho au témoignage poignant que Bernadette m'adressait la veille :
"Je suis visiteuse bénévole depuis de nombreuses années. Je visite des personnes âgées à leur domicile, et je continue de les accompagner lorsqu'elles sont placées en maisons de retraite. C'est une grande responsabilité de choisir une maison de retraite, ça ne se fait jamais sans douleur, je rencontre de nombreuses directrices pour m'assurer de la qualité de l'établissement, mais les directeurs changent souvent, les équipes tournent de plus en plus, se réduisent aussi et il devient très difficile d'avoir un référent dans le temps. De plus je m'occupe de personnes âgées avec des moyens très modestes, et les places dans les établissements publics étant de plus en plus rares, je dois faire au mieux de ce qu'il m'est permit de faire... C'est dans ce contexte que j'ai du "placer" Mme M.
Mme M. était peintre-sculpteur, elle a beaucoup voyagé, a perdu son mari encore jeune, sans même avoir eu d'enfants, je ne sais pas grand chose de ce qui a suivi car c'est de ces années d'un mariage heureux mais inachevé dont elle me parle le plus. C'est une femme douce et craintive, pudique aussi, qui parle peu lorsqu'elle ne connait pas mais qui est très chaleureuse lorsqu'elle est en confiance. Elle vivait depuis des années dans un petit 2 pièces HLM inadapté pour une personne de son âge, un 3ème étage sans ascenseur, une salle de bains vétuste et pas aménagée, mais c'était son intérieur avec ses souvenirs et ses objets du quotidien.
Malheureusement, elle atteignait 87 ans et ses forces déclinaient. Ella avait chuté une première fois dans les escaliers en tentant de faire une ultime sortie, et une seconde fois dans la salle de bains. En consultation avec les services sociaux, nous avons dû nous résoudre à la "placer" en EPHAD. Je vous l'ai dit ce n'était pas une décision faite à la légère, j'avais visité plusieurs maisons et celle-ci participe à un programme de lutte contre la maltraitance. Nous souhaitions la protéger d'elle-même mais aujourd'hui je me demande si nous ne l'avons pas exposé plus encore et ça me fait mal.
Lorsqu'elle a cessé de me demander de rentrer chez elle, j'ai pensé qu'elle s'était enfin accoutumée à son nouvel environnement. Mais un soir j'ai vu qu'on lui donnait des gouttes pour " la calmer" m'a dit l'infirmière, elle n'en avait jamais eu besoin auparavant. J'ai trouvé une ordonnance dans sa chambre, on lui donne un médicament de la famille des benzodiazépine, je viens de lire sur google que les benzodiazépines sont très mal métabolisées par les personnes âgées et que du coup le principe actif s'accumule dans le corps et qu'ils provoquent notamment des vertiges. Je fais le lien avec ces chutes à répétition depuis son arrivée ici. On la drogue !
Ce week-end, je suis passée la voir, elle se retenait d'aller aux toilettes car elles étaient fermées, j'ai appelé l'AMP de service qui m'a répondu devant elle "on lui a mis une couche, elle n'a qu'à faire dans sa culotte". Je vous l'ai dit, c'est une dame très pudique, très propre, j'ai eu mal pour elle en voyant qu'elle retenait ses larmes.
Et c'est un peu grâce à votre blog que je l'ai apaisé, car j'avais lu votre article sur l'amande douce et j'en avais apporté un flacon. Je lui ai massé les mains et les jambes car depuis qu'elle est ici sa peau ressemble à du papier froissé.
Ensuite, heureusement c'était l'heure du goûter, on lui a donné des biscuits en sachet impossible à ouvrir avec des doigts déformés par les rhumatismes. Elle m'a dit que les jours où je ne suis pas là on débarrasse la table sans qu'elle n'ait pu toucher à son goûter.
Une petite gâterie qu'elle apprécie d'autant plus que les diners sont légers. Ce soir-là, elle avait pour tout repas, un bol de bouillon et un tout petit pot de crème vanille...
Cela dit, je ne veux pas incriminer le personnel de santé, ce jour-là il y avait une femme par étage, soit une femme pour plus de 70 lits. Le personnel n'est-il pas lui aussi maltraité ? Et c'est un triste constat, mais la maltraitance engendre bien souvent la maltraitance.
De même, le manque de personnel ne permet pas aux résidents d'avoir une hygiène suffisante. Ainsi ne prennent-ils qu'une douche par semaine, le vendredi, avant la visite des familles. Je le sais car j'essaie d'être présente en semaine auprès de Mme M. et de deux autres résidentes, dans d'autres établissements, mais c'est pareil en semaine l'odeur est souvent insupportable notamment dans les salles communes. Toujours grâce à votre blog, j'apporte avec moi mon diffuseur et je diffuse de la lavande ou de la mandarine dans la chambre pendant qu'on descend au réfectoire ou dans le parc.
C'est tout ce qu'il m'est possible de faire, une goutte d'eau dans l'océan, ça me fait mal de ne pas pouvoir faire plus, mais pour cela il faudrait que notre société replace l'humain au coeur de ses préoccupations. Au lieu de cela, je m'aperçois que bien au contraire on continue de centraliser, de faire des établissements sans âme, toujours plus grand, avec toujours moins de personnel, toujours plus de technologie et toujours moins d'humain."